En chute libre

Claire venait de sauter dans le vide. Elle quittait la vie par la fenêtre de son appartement situé au sommet d’une tour dont ne comptait plus les étages tant ils étaient nombreux. Elle ferma les yeux. Le compte à rebours venait de commencer. Un décompte infernal où les pensées les plus folles traversaient l’esprit de la jeune femme.

Je ne dois pas penser, ne plus penser du tout, se répéta-t-elle. Tout oublier ! La peur, la mort, la vie… la… 

Mais le temps décida de changer le cours du scénario. Quand la jeune femme rouvrit les yeux, elle fut surprise de constater qu’elle n’était plus seule dans sa chute, et qu’un charmant jeune homme tombait à ses côtés.

« Comment vous appelez-vous ? demanda-t-elle.

— Louis. Je suis comme vous… suicidaire.

— Chagrin d'amour ? insista Claire.

— Oui et non, et bien d’autres choses, répondit-il, pensif. C’est étrange, fit-il en changeant le ton de sa voix

— Qu’est-ce qui est étrange ?

— Nous ne sommes pas encore...

— Taisez-vous ! Nous avons tout notre …

—… temps ? coupa Louis. Oui, c’est incroyable ! On dirait que nous ne subissons aucune accélération, rien ! C’est comme si nous planions ! comme si le temps était suspendu !

— Quel âge avez-vous ? demanda Claire, histoire de changer de sujet.

— Quelle importance ! Je crois que j’ai l’âge de partir…

Louis dévisagea Claire, la trouva jolie. La fragilité excessive des traits de son visage le fascina. Il continua : « C’est vrai, sans doute vous avez-vous raison, nous devrions parler de choses plus gaies. Votre sourire par exemple. »

Claire ne put s’empêcher de rougir ! Ce qui pour effet d’accentuer son charme naturel.

« Vous serez ma dernière compagne, fit le jeune homme, avec un sourire. Je commence à me sentir merveilleusement bien à vos côtés. Et le comble de mon bonheur serait de vous serrer dans mes bras. Hélas les lois de la physique sot plutôt réticentes. »

Le temps une fois de plus n’en fit qu’à sa tête.

« C’est extraordinaire, s’exclama Claire. Nous tombons au ralenti ! »

Louis se rapprocha d’elle et parvint à lui chuchoter à l’oreille : « je crois que sommes…des anges ! Nous pourrions peut-être en profiter et faire un petit voyage. J’ai l’impression que nous avons encore beaucoup de temps devant nous.

— Vous n’y pensez pas ! Notre degré de liberté est encore très faible. Surtout ne regardez pas en bas ! »

La jeune suicidaire, mue par l'énergie du désespoir, parvint à se jeter dans les bras de son compagnon et se blottir tout contre lui.

« Nous devons agir avec une extrême prudence, murmura-t-elle. Tout est bien trop beau !

— Sans doute rêvons-nous ! fit Louis

— Certainement pas, corrigea claire. Le temps joue avec nous, c’est très simple finalement. »

Louis ne répondit pas, la serra plus fort dans ses bras et leur baiser dura une… éternité.

— C’est merveilleux, soupira le jeune homme. Je crois bien que je suis tombé amoureux !

— Attention à la chute !

— J’ai l’impression de vous connaître depuis des siècles, ajouta-t-il.

— Je ressens un peu la même chose, mais je vous en prie, tutoyez-moi.

— Dans ce cas, je t’en supplie de m’accompagner. Ferme les yeux, nous partons au bord de l’océan.

— Elle est là ! Je la vois, s’écria claire. Vite, dépêchons-nous. »

L’eau les accueillit en son sein et fouetta leur corps de ses rouleaux aux crêtes argentés. Mais une vague plus forte que les autres les ramena jusqu’au rivage.

« Qu’allons faire à présent ? demanda Louis.

— Pourquoi ne pas faire l’amour sur cette plage au sable si fin ?

— J’ai une idée complètement folle… Nous allons nous marier, déclara Louis. Qu’en dis-tu ?

— Quelle idée ! ça servira à quoi ?

— A rien, mais c’est un rêve que j’avais enfant, quand j’étais enfant. Et puis au point où nous en sommes ! Mais nous devons faire vite. Je ne t’ai pas tout dit sur moi.

— Que veux-tu dire ?

— Je suis atteinte d’un mal incurable.

— Je souffre aussi d’une maladie très grave. Il ne me reste que quelques jours à vivre !

— Dans ce cas, faisons vite. J’aperçois une petite chapelle sur la falaise. Viens ! »

Les deux amants parvinrent sans trop de mal à destination. Quelques minutes plus tard ils étaient mariés devant …monsieur le curé et devant Dieu.

Ils s’allongèrent ensuite au soleil. D’une voix pleine de tristesse, Claire chuchota à l’oreille de son époux : « Il ne nous reste que très peu de temps ! La solution serait peut-être d’en finir ensemble.

— Tu me prends au dépourvu, je commençais à me sentir si bien… mais tu as sans doute raison. »

Ils se dévisagèrent un long instant puis main dans la main avancèrent tout doucement jusqu’au bord de la falaise. L’océan était bleu, d’un bleu turquoise. Ils s’embrassèrent une dernière fois, et sautèrent dans le vide.

Paniqués, les gens accoururent de partout. On distinguait à peine leur visage tant ils étaient serrés l’un contre l'autre sur le béton. Mais ils souriaient, et personne ne le remarqua.

« C’est horrible ! s’écria une jeune fille. Ils étaient si jeunes. Ils avaient tout e temps devant eux... »  

Mais le temps…le temps !